Public sector
22 September 2021

Personnel pénitentiaire : le service minimum en cas de grève est validé

Par arrêt du 15 juillet 2021, la Cour constitutionnelle valide notamment le service minimum en cas de grève du personnel pénitentiaire.

Par arrêt du 15 juillet 2021, la Cour constitutionnelle rejette le recours en annulation introduit à l’initiative de la CGSP contre la loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire, qui introduit notamment un « service minimum » en cas de grève pour le personnel pénitentiaire.

Contexte

La loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire comprend de nombreuses dispositions destinées à renforcer la légitimité de l’institution pénitentiaire et d’assurer les droits fondamentaux des détenus.

Elle prévoit notamment l’organisation d’une enquête de moralité plus approfondie au stade du recrutement du personnel pénitentiaire, une nouvelle hypothèse de démission d’office ou de licenciement pour motif grave en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, etc.

Nous avons fait le choix de nous focaliser sur un des aspects de cette loi et de l’arrêt « mammouth » (90 pages) récemment prononcé par la Cour constitutionnelle à son propos, à savoir la validation du service minimum instauré par les articles 15 à 20 de la loi.

Pour permettre à l’autorité d’organiser ce « service minimum », ces dispositions imposent aux membres du personnel et aux organisations syndicales le respect d’un double préavis :

  • D’une part, un délai de préavis minimal de dix jours ouvrables doit être respecté entre le dépôt du préavis de grève et le début de la grève ;
  • D’autre part, les membres du personnel doivent communiquer au plus tard 72 heures avant le début de la grève leur intention de prendre part ou non à la grève, et ce, pour chaque jour de grève. Ils disposent de la possibilité de se rétracter 48 heures avant le jour déclaré.

En outre, la loi prévoit une possibilité de réquisition de la part du Gouverneur de la province si le taux de présence du personnel n’est pas suffisant pour assurer un service minimum, lorsque la grève dure plus de 2 jours.

Les membres du personnel qui, contrairement à leur déclaration d’intention ou à l’ordre de réquisition qui leur est notifié, ne se présentent pas, sans raison valable, sur leur lieu de travail, s’exposent à une « mesure administrative ».

Un membre du personnel pénitentiaire (délégué permanent de la CGSP) saisit la Cour constitutionnelle d’une demande en annulation, notamment, des dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui instaurent ce service minimum, au motif qu’elles entraîneraient une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit de grève.

Décision de la Cour constitutionnelle

Dans un premier temps, la Cour rappelle que le droit de grève est un moyen de pression essentiel pour assurer l’exercice effectif du droit des syndicats de mener des négociations collectives avec l’employeur et que ce droit est donc protégé au même titre que la liberté syndicale. Il n’est toutefois pas absolu : il peut être soumis à certaines conditions et faire l’objet de restrictions.

Selon la Cour, le service minimum constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté syndicale et du droit de négociation collective. Pour être admissible, l’ingérence doit être entourée de garanties appropriées, comme la participation des organisations syndicales représentatives dans la définition des services minima, et elle ne doit pas porter atteinte à l’essence des droits concernés. Enfin, elle doit ménager un juste équilibre entre la protection de l’effectivité du droit de grève et l’objectif d’assurer des services jugés essentiels.

En l’espèce, la Cour a examiné quatre aspects du service minimum imposé au personnel pénitentiaire :

  • La détermination du service minimum sur la base d’une liste théorique de services garantis (article 17). Pour le requérant, cette liste entraîne une restriction disproportionnée du droit de grève en ce qu’elle ne tient pas compte des nécessités du service, de la durée de la grève, ni du manque d’effectifs dans les établissements pénitentiaires, qui priverait dans les faits une partie importante du personnel de son droit de grève. La Cour répond que les syndicats ont été consultés lors de l’élaboration de la loi et pourront intervenir lors de l’établissement du plan fixant concrètement les prestations à effectuer dans chaque établissement. Sur le contenu de la liste, la Cour relève que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants interpelle la Belgique depuis longtemps à propos de la nécessité de garantir un service minimum aux détenus en cas de grève et que les prestations reprises dans la liste sont exactement celles que ce Comité met la Belgique en demeure d’assurer « en toutes circonstances ». La Cour termine en jugeant que la critique reposant sur le déficit structurel en personnel n’est pas dirigée contre les dispositions de la loi mais concernent les conséquences de celle-ci eu égard à la politique de nomination adoptée par le Gouvernement. Or, cette dernière politique échappe au contrôle de la Cour…
  • L’obligation de déclarer son intention de participer, ou non, à la grève 72 heures avant le début de la grève. Cette obligation n’est pas disproportionnée, selon la Cour, car ces déclarations sont indispensables pour permettre au chef d’établissement d’établir une liste des agents non-grévistes, afin d’assurer les services essentiels et de pouvoir déterminer s’il faudra procéder à des réquisitions.
  • La mesure administrative appliquée à l’agent qui, sans motif valable, ne respecte pas sa déclaration d’intention de travailler ou qui ne répond pas à la réquisition qui lui est faite. La Cour relève que le but de cette mesure est de garantir l’effectivité du service minimum. De plus, la loi a exclu que cette mesure puisse avoir un caractère disciplinaire (NDLR : contrairement au système mis en place au sein de la SNCB). Concrètement, il est prévu que les agents seront placés en « non-activité » et le contrat des contractuels suspendu pour les jours concernés (arrêté royal du 19 novembre 2019), ce qui n’est clairement pas excessif.
  • La possibilité de réquisition. Etant conçue comme une mesure ultime, cette mesure n’est pas jugée disproportionnée par la Cour. Elle permet d’assurer l’équilibre entre la garantie des services indispensables au respect des droits fondamentaux des détenus et l’exercice légitime du droit de grève et du droit de négociation collective.

Que retenir ?

La validation du système de préavis mis en place par la loi du 23 mars 2019 ne surprend pas. Il s’agit en effet, à quelques détails près, du même système que celui mis en place par la SNCB et que la Cour avait déjà validé précédemment (arrêt n° 87/2020 du 14 mai 2020).

La loi du 23 mars 2019 va cependant plus loin, en ce qu’elle fixe le contenu du « service minimum » devant être assuré en temps de grève et permet la réquisition de travailleurs dans le cas où l’autorité ne parvient pas à trouver une solution avec les syndicats pour assurer ces services. Dans l’appréciation de la proportionnalité de ces mesures, il est clair que la Cour constitutionnelle a eu égard au caractère « essentiel » des services concernés, qui touchent à la dignité humaine de personnes qui se trouvent dans une situation de dépendance quasi-totale vis-à-vis du personnel pénitentiaire. Il est peu probable que la Cour aurait accepté de valider de telles mesures dans un autre contexte.

On notera, enfin, l’importance que la Cour constitutionnelle apporte au fait que les restrictions ainsi faites au droit de grève soient non seulement nécessaires, mais également, dans toute la mesure du possible, fassent l’objet d’une concertation sociale.

Source : Cour const., 15 juillet 2021, n° 107/2021.

 

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