Secteur public
24 janvier 2024

Motivation du licenciement dans le secteur public : un projet de loi soumis au Parlement

Le Gouvernement a déposé un projet de loi visant régler la question de la motivation des licenciements dans le secteur public et, au passage, celle de l’audition préalable.

Dans un communiqué du 9 décembre 2022, la Chancellerie du Premier Ministre annonçait l’adoption, en première lecture, d’un avant-projet de loi visant à réglementer les licenciements dans le secteur public (voir notre précédente news). Le texte a quelque peu été adapté dans le cours des négociations syndicales et à la suite de l’avis rendu par le Conseil d’État. Dans les lignes qui suivent, nous commentons la nouvelle version de ce projet de loi que le Gouvernement a finalement déposé, ce 18 janvier, devant le Parlement.

Contexte

À l’occasion de l’harmonisation des délais de préavis entre ouvriers et employés par la loi du 26 décembre 2013, le législateur avait programmé la suppression de la protection particulière contre le licenciement abusif dont bénéficiaient les seuls ouvriers en CDI, dans la mesure où celle-ci était destinée à compenser la faiblesse relative de leur préavis.

Le législateur avait conditionné l’abrogation de cette disposition à l’adoption d’une réglementation encadrant la motivation du licenciement tant pour les ouvriers que pour les employés.

Pour le secteur privé, la question a été réglée par l’adoption de la CCT n° 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement. Le problème est que cette disposition ne s’applique pas à la grande majorité des employeurs du secteur public, dès lors qu’ils n’entrent pas dans le champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives du travail et les commissions paritaires.

Le législateur avait anticipé ce problème en prévoyant que la protection, dont bénéficiaient les ouvriers, cesserait de s’appliquer dès l’instant où un « régime analogue » à celui prévu par la CCT précitée serait adopté pour les employeurs ne relevant pas de la loi du 5 décembre 1968.

L’adoption de ce texte s’est néanmoins fait attendre, si bien qu’en 2016, la Cour constitutionnelle avait finalement décrété que l’application de la protection aux seuls ouvriers n’était pas acceptable et invité les juridictions du travail, en attendant l’intervention du législateur, à appliquer sans discrimination à tous les contractuels du secteur public les règles de droit commun en s’inspirant le cas échéant des dispositions de la CCT n° 109.

L’objectif initial du projet de loi déposé était de combler cette lacune législative. Suite à une demande des organisations syndicales, le Gouvernement a cependant complété son projet en intégrant la question de l’audition préalable.

Champ d’application

Le projet de loi, s’il est finalement adopté, s’appliquera aux travailleurs sous contrat de travail qui ne relèvent pas de la loi du 5 décembre 1968. Cela concerne donc l’essentiel des contractuels du secteur public mais également le personnel subventionné au sein de l’enseignement libre.

Se calquant sur les dispositions de la CCT n° 109, le projet de loi exclut de son champ d’application les travailleurs licenciés :

  • durant les 6 premiers mois d’occupation ;
  • durant un contrat de travail intérimaire (hypothèse peu probable au sein du secteur public) ;
  • durant un contrat d’occupation d’étudiants ;
  • en vue de permettre l’accès à la pension ;
  • pour motif grave ;
  • lorsque l’employeur doit suivre une procédure spécifique fixée par ou en vertu d’une norme législative (ex. les conseiller en prévention, certains délégués syndicaux, les enseignants).

Motivation du licenciement

Le projet de loi prévoit que le congé devra être donné par écrit et mentionner les motifs concrets du licenciement. Autrement dit, les employeurs publics devront automatiquement motiver le courrier de licenciement (tant pour les contractuels engagés sous CDI que sous CDD).

Sur ce point, le projet de loi s’écarte des dispositions de la CCT n° 109 qui organisent une motivation sur demande du travailleur.

L’employeur qui omet de communiquer les motifs concrets du licenciement sera redevable, à l’instar de ce que prévoit la CCT n° 109, d’une indemnité correspondant à 2 semaines de rémunération. Le congé reste néanmoins valable.

Licenciement manifestement déraisonnable

Le projet de loi reprend les dispositions de la CCT n° 109 prohibant les licenciements manifestement déraisonnables.

Le contractuel engagé à durée indéterminée pourra prétendre à une indemnité correspondant à minimum 3 semaines et maximum 17 semaines s’il est licencié :

  • pour un motif qui n’a aucun lien avec son aptitude ou sa conduite ou qui n’est pas fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; et/ou
  • lorsqu’une telle décision n’aurait jamais été adoptée par un employeur normal et raisonnable.

La charge de la preuve est réglée conformément au droit commun (chacune des parties a la charge de prouver les faits qu’elle allègue), à moins que l’employeur ait omis de notifier les motifs du licenciement. Dans ce cas, il lui appartiendra de prouver que le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable.

Le projet de loi prévoit que cette indemnité ne peut pas être cumulée avec toute autre indemnité qui est due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de non-concurrence, de l’indemnité d’éviction, des indemnités complémentaires payées en plus des allocations sociales ainsi que de l’indemnité équivalente à 2 semaines de rémunération qu’il instaure par ailleurs.

Audition préalable

La première version du projet soumis aux partenaires sociaux ne traitait pas de la question de l’audition préalable. Ce point a manifestement été intégré dans le projet à la demande des organisations syndicales.

Le projet déposé prévoit désormais que « L’employeur qui envisage de licencier un travailleur pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement l’invite à être préalablement entendu et recueille ses explications concernant les faits et les motifs de la décision envisagée, préalablement communiqués au travailleur moyennant un délai suffisant pour préparer son audition ou formuler ses observations écrites ».

L’obligation imposée par cette disposition n’est pas neuve. La Cour constitutionnelle avait en effet décidé, en 2017, que le principe d’audition préalable devait être respecté vis-à-vis des contractuels du secteur public sous peine de créer une discrimination vis-à-vis des agents statutaires. La jurisprudence suit depuis lors cet enseignement en veillant à ce que l’audition soit entourée d’une série de garanties dont le droit de connaitre préalablement les reproches formulés et la mesure envisagée, d’accéder au dossier, d’être assisté par un défenseur de son choix et de disposer du temps nécessaire pour préparer utilement sa défense.

Le projet a le mérite de préciser que cette obligation ne s’applique que lorsque le licenciement est lié au comportement ou à la personne du travailleur, ce qui exclut notamment les situations où le licenciement est dicté par les nécessités du service.

L’ajout de cette disposition ne règlera cependant pas toutes les difficultés et pourrait même ajouter à la confusion.

On se rappellera en effet que le projet de loi ne s’applique qu’aux employeurs qui ne sont pas soumis à la loi du 5 décembre 1968. Or, la jurisprudence retient généralement que l’obligation d’audition préalable s’applique aux « autorités publiques ». Les deux ensembles ne se recoupent pas forcément. Les établissements de l’enseignement libre ne sont pas des autorités publiques. À l’inverse, certaines autorités publiques relèvent de la loi du 5 décembre 1968 (ex. les sociétés de logement de service public wallonnes, la Loterie nationale, la STIB,…).

Par ailleurs, le projet de loi exclut de son champ d’application certaines situations, notamment le licenciement intervenant dans les 6 mois de l’engagement ou pour motif grave. Cela ne signifie pas pour autant selon nous qu’aucune audition ne devra être réalisée dans ces cas. La Cour constitutionnelle a en effet jugé, en 2018, que la non-application du principe d’audition préalable en cas de licenciement pour motif grave était également discriminatoire.

Le projet de loi prévoit une sanction correspondant à 2 semaines de rémunération si l’employeur omet d’entendre préalablement le travailleur ou de communiquer les motifs concrets qui ont conduit au licenciement du travailleur. La sanction deviendra donc automatique et forfaitaire, alors que la jurisprudence actuelle la fait dépendre de la démonstration par le travailleur de l’existence d’un dommage correspondant le plus souvent à la perte d’une chance de conserver son emploi. Il semble du reste, à la lecture du texte, que la sanction de 2 semaines couvrira à la fois le dommage résultant de l’absence d’audition et de l’absence de notification des motifs.

Entrée en vigueur

Si le projet de loi est voté tel quel, les dispositions précitées s’appliqueront aux licenciements notifiés à partir du premier jour du deuxième mois qui suivra sa publication au Moniteur belge.

Que retenir ?

Le projet de loi reproduit, pour l’essentiel, les règles inscrites dans la CCT n° 109 concernant la motivation du licenciement, qu’il rend ainsi applicables aux contractuels du secteur public ainsi qu’au personnel des établissements de l’enseignement libre.

Il intègre cependant certaines particularités, notamment l’obligation de préciser automatiquement les motifs du licenciement au moment où celui-ci est notifié au travailleur ainsi que l’organisation d’une audition préalable.

Le projet de loi prévoit que ses dispositions ne s’appliquent pas dans certaines circonstances, notamment en cas de licenciement intervenant durant les 6 premiers mois de l’engagement ou pour motif grave. Il nous semble qu’interpréter ce texte comme autorisant les autorités publiques à ne pas entendre les travailleurs dans ces cas contreviendrait à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Rappelons cependant qu’il ne s’agit à ce stade que d’un projet de loi. Il est probable que celui-ci fasse encore l’objet d’amendements durant son examen par la Chambre, travaux que nous suivrons évidemment avec beaucoup d’attention.

Source : Projet de loi sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public, Doc. parl., Chambre, session 2023-24, n° 3754/001.

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